Quand l’extraction conduit à l’extinction : La demande en véhicules électriques détruit les terres et les vies d’un peuple autochtone non contacté en Indonésie
Synthèse du rapport
Les membres non contactés du peuple autochtone des Hongana Manyawa, sur l’île d’Halmahera, en Indonésie, font face à un risque élevé et immédiat de génocide. En effet, l’extraction du nickel utilisé dans les batteries de véhicules électriques détruit la forêt qui constitue leur foyer et est susceptible de leur apporter des maladies mortelles. Si cette activité minière, générée par la demande en véhicules électriques, se poursuit sur leur territoire, en violation du droit international, les Hongana Manyawa non contactés seront anéantis, comme tant d’autres peuples non contactés avant eux.
Sur une population totale d’environ 3 500 Hongana Manyawa, environ 500 personnes non contactées vivent au cœur des forêts de l’île d’Halmahera, dans la province des Moluques du Nord, en Indonésie. Les peuples dits “non contactés” sont également appelés “en isolement volontaire”.
Au moins 19 compagnies minières opèrent sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés, la plupart pour en extraire du nickel. Aujourd’hui, elles occupent environ 40 % de leur territoire. La course au nickel à Halmahera s’inscrit dans une stratégie globale du gouvernement indonésien, qui consiste à augmenter de manière massive l’extraction de nickel dans le pays, afin de répondre à la demande mondiale en batteries destinées aux véhicules électriques.
Les risques que font peser cette activité minière sont multiples et considérables. Tout d’abord, du fait de la déforestation et de la pollution qu’elle entraîne, l’extraction minière détruit la forêt dont les Hongana Manyawa non contactés ont besoin pour survivre et continuer à exister en tant que peuple. Par ailleurs, elle est susceptible d’amener des maladies qui peuvent leur être fatales, car ils n’ont aucune immunité contre elles. Des experts internationaux des peuples non contactés, des maladies et du génocide ont d’ailleurs tous averti que l’activité minière représentait une menace immédiate d’effondrement de la population d’Hongana Manyawa non contactés, soit un génocide.
L’activité minière ne fait pas seulement peser des risques mortels sur des êtres humains : elle constitue une violation du droit international. En effet, en vertu du droit international, les peuples autochtones bénéficient de droits de propriété collective sur leurs territoires, ainsi que du droit à donner ou refuser de donner leur consentement préalable, libre et éclairé pour tout projet (activités minières comprises) mis en œuvre sur leurs terres. Les Hongana Manyawa contactés n’ont jamais donné leur consentement pour l’extraction minière et, a fortiori, les Hongana Manyawa non contactés non plus, puisqu’ils ne sont pas en mesure de le faire. De fait, il n’y a aucune possibilité pour les Hongana Manyawa de donner un tel consentement : les Nations Unies ont affirmé à plusieurs reprises que les peuples autochtones non contactés ne peuvent donner leur consentement préalable, libre et éclairé pour les projets se déroulant sur leurs territoires, et que le fait d’être en situation d’isolement volontaire doit être considéré comme une preuve de non-consentement. Cela signifie donc, sans équivoque, qu’aucune activité minière ou autre projet ne peut être réalisé sur leurs terres.
Ces violations des droits des Hongana Manyawa non contactés et les menaces pour leur survie sont le fait de toutes les personnes impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’approbation ou l’exécution de ces activités minières ou dans l’approvisionnement à partir de ces mines. Les compagnies minières et de traitement qui opèrent sur leur territoire doivent assumer leurs responsabilités, tout comme les constructeurs automobiles susceptibles d’acheter le nickel provenant des mines, les investisseurs impliqués, ainsi que le gouvernement indonésien.
La compagnie minière française Eramet, qui gère la plus grande mine sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés, a connaissance de ces risques depuis plus de dix ans. Eramet supervise les opérations de Weda Bay Nickel (WBN), la plus grande mine de nickel du monde. Bien qu’informée de la présence d’Hongana Manyawa non contactés à l’intérieur et autour de la concession WBN depuis au moins 2013, l’entreprise a continué de nier leur existence et exploite leur territoire depuis 2019.
Des informations ayant fuité révèlent que des chercheurs mandatés par Eramet ont conçu des plans pour contacter et sédentariser de force les Hongana Manyawa non contactés. Une telle initiative ne peut qu’accroître un risque déjà élevé de génocide et constitue une violation absolue du droit international.
Suite à la pression intense exercée par Survival International, BASF, le géant allemand de la chimie, a annoncé son retrait d’un projet à Halmahera, en coopération avec Eramet, de traitement du nickel destiné aux batteries de véhicules électriques, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. Cela a poussé le gouvernement indonésien à admettre que ce retrait avait entraîné une prise de conscience sur les questions de durabilité dans la stratégie nationale relative au nickel. Il doit maintenant prendre des mesures concrètes pour empêcher les entreprises d’opérer sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés.
Des fabricants de véhicules électriques, tels que Tesla et Ford, sont également de plus en plus conscients des impacts de l’activité minière sur les territoires des peuples autochtones non contactés en Indonésie. Ces deux constructeurs ont souligné le problème que posent des opérations sur les terres d’Autochtones non contactés ; Tesla étudie la nécessité de créer une zone interdite à l’extraction pour les protéger, ce qui intensifie la pression sur les compagnies minières et le gouvernement indonésien. Mais il reste beaucoup à faire. Le gouvernement indonésien cherche de plus en plus à inciter les fabricants de véhicules électriques à acheter le nickel du pays. Par ailleurs, les célèbres constructeurs Volkswagen et Stellantis ont signé un protocole d’accord avec Eramet pour développer un “écosystème de batteries pour véhicules électriques en Indonésie”. Survival craint fortement que les fabricants de véhicules électriques ne s’approvisionnent en nickel sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés, se rendant ainsi complices d’un processus qui risque de mener à leur génocide.
Pour toutes ces raisons, la menace que fait peser l’activité minière sur les Hongana Manyawa est un sujet croissant d’attention sur le plan politique et intensifie la pression exercée sur l’Indonésie. En août 2024, l’une des figures majeures du sénat indonésien avait écrit au président alors en exercice afin d’attirer son attention sur les préoccupations exprimées par Survival et de l’inciter à prendre des mesures immédiates.
La survie des Hongana Manyawa non contactés dépend de la reconnaissance et de la démarcation de leur territoire, qui doit être officiellement défini comme une zone interdite d’accès à l’instar des protections des territoires de peuples non contactés dans d’autres pays, tels que le Brésil.
La ruée vers le nickel à Halmahera, due à la demande mondiale en véhicules électriques prétendument respectueux de l’environnement, entraîne une crise croissante sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés. Survival International demande la reconnaissance et la démarcation immédiates de leur territoire, ainsi que l’arrêt de l’activité minière sur leurs terres et la création d’une zone interdite d’accès, seul moyen d’assurer leur survie.
Les solutions requises
(Pour la liste complète des solutions requises, merci de consulter la Section 11 du rapport complet).
Le gouvernement indonésien doit :
- arrêter immédiatement l’activité minière sur le territoire des Hongana Manyawa non contactés et ordonner le retrait de toute infrastructure existante sur leurs terres ;
- créer et mettre en œuvre une zone intégralement interdite d’accès (avec la zone tampon nécessaire) pour protéger les Hongana Manyawa non contactés et leur territoire de l’activité minière et autres menaces ;
- reconnaître formellement les Hongana Manyawa en tant que communauté autochtone (Masyarakat Adat) et démarquer l’ensemble de leurs terres ;
- s’engager à stopper et prévenir toute tentative de contact forcé avec tout membre non contacté du peuple hongana manyawa ;
- s’engager à stopper et prévenir toute tentative de sédentarisation des Hongana Manyawa nomades ;
- s’engager à interdire toute activité minière, ou autre activité économique, sur les territoires des peuples autochtones d’Halmahera sans leur consentement préalable, libre et éclairé (ce qui signifie, par définition, l’ensemble du territoire des Hongana Manyawa non contactés).
Eramet/Weda Bay Nickel et autres entreprises opérant sur le territoire des Hongana Manyawa doivent :
- mettre fin de manière définitive à toutes les opérations sur les territoires qui appartiennent aux Hongana Manyawa non contactés (incluant ceux qu’ils ont traditionnellement occupés), et retirer toute infrastructure existant sur de tels territoires ;
- opérer uniquement dans des territoires pour lesquels le consentement préalable, libre et éclairé des Autochtones a été obtenu, ce qui exclut par conséquent l’ensemble du territoire des Hongana Manyawa non contactés ;
- renoncer définitivement à tout contact forcé avec tout membre non contacté du peuple hongana manyawa ;
- renoncer définitivement à toute initiative de sédentarisation des Hongana Manyawa nomades ;
- faire usage de son influence sur les entreprises partenaires, l’IWIP (parc industriel Indonesia Weda Bay) et le gouvernement indonésien, en réclamant la reconnaissance des droits territoriaux des Hongana Manyawa, ainsi que la création et la mise en œuvre d’une zone interdite d’accès visant à protéger les Hongana Manyawa non contactés.
Les fabricants de véhicules électriques doivent :
- s’engager publiquement à ce que leurs chaînes d’approvisionnement soient intégralement exemptes de matières premières en provenance de territoires de peuples autochtones non contactés, y compris les Hongana Manyawa, ou provenant d’entreprises opérant sur les territoires de ces peuples ou s’y approvisionnant ;
- faire usage de leur influence pour sensibiliser leurs fournisseurs à l’importance et au caractère obligatoire du consentement préalable, libre et éclairé (notamment sur l’impossibilité d’obtenir le consentement d’un peuple non contacté) et aux droits des peuples autochtones, y compris des peuples autochtones non contactés ;
- faire usage de leur influence sur le gouvernement indonésien pour demander la reconnaissance des droits territoriaux des Hongana Manyawa, ainsi que la création et la mise en œuvre d’une zone interdite d’accès visant à protéger les Hongana Manyawa non contactés.
Lire le rapport complet (en anglais)