AFD : l'argent du contribuable français impliqué dans un scandale de violations des droits humains au nom de la conservation

7 Juillet 2022

Rencontre entre M. De-Dieu Bya’Ombe (chef du site du parc national de Kahuzi Biega au moment de la photo), M. Rémy Rioux (directeur général de l’AFD) et Vincent Imbongo (directeur général adjoint de l’ICCN), fin mars 2022. © KBNP

Une enquête de RFI et des enregistrements audio, obtenus également par Survival International, mettent en lumière un scandale impliquant de l’argent public français.

D’après les enregistrements, l’Agence française de développement (AFD) aurait – contrairement à ce qu’elle avait annoncé – officieusement confirmé sa décision de financer le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo avant même que son “étude de faisabilité” ne soit terminée. Ce parc est le théâtre des pires atrocités commises par les gardes du parc à l’encontre du peuple batwa – notamment des viols collectifs et des enfants brûlés vifs.

Suite à un rapport de Minority Rights Group International (MRG), publié le 5 avril 2022, dénonçant d’atroces violations des droits humains à l’encontre du peuple autochtone batwa dans le parc de Kahuzi-Biega, le gouvernement allemand – qui, à travers ses agences de développement KfW et GIZ, en est l’un des principaux bailleurs de fonds – a décidé de soutenir une enquête “indépendante” sur les abus au moyen d’une commission.

Baptiste Martin, un expert “indépendant” français, faisait partie de cette commission. Au même moment, il était pourtant mandaté par l’AFD pour une étude de faisabilité préalable au financement du parc par l’agence française.

« Le même “expert international” travaillait pour les deux gouvernements à la fois, enquêtant sur les atrocités pour l’Allemagne tout en s’efforçant de mettre en place de nouveaux financements de la part de la France. C’est un énorme conflit d’intérêts. » a déclaré à RFI Robert Flummerfelt, journaliste à l’origine du rapport de MRG.

Les enregistrements nous révèlent que :

- L’expert français a demandé à ce que Robert Flummerfelt identifie « les villages les plus touristiques […] Un village batwa et un village non batwa qui ne sont pas directement affectés ou seulement légèrement affectés par les événements » pour les visites des représentants de l’AFD dans le cadre de l’étude de faisabilité.

Robert Flummerfelt a d’ailleurs déclaré à RFI : « L’expert international travaillant pour les gouvernements allemand et français a spécifiquement cherché à organiser le voyage des officiels français de manière à ce que, tout en accompagnant l’enquête financée par l’Allemagne, ils ne voient pas les effets directs des atrocités, en essayant d’éviter les villages où les femmes batwa ont été violées ou les civils batwa tués. »

- Alors que l’AFD, à travers ses agents, a déclaré sur les réseaux sociaux, ainsi que dans une interview à RFI, que la décision de financer le parc n’avait pas encore été prise et qu’elle dépendrait de l’étude de faisabilité, Baptiste Martin a affirmé le contraire, précisant que cette dernière n’était qu’une simple formalité.

« C’est le processus officiel, mais en réalité nous l’avons déjà annoncé à l’ICCN et nous travaillons maintenant sur les détails de la mise en œuvre [du financement] », explique Baptiste Martin dans l’un des enregistrements audio.

- Baptiste Martin a été témoin de graves dysfonctionnements au sein de la commission requise par le gouvernement allemand, mais a continué à en soutenir le travail comme le montre l’article de l’unité d’investigation d’Al Jazeera. Il a aussi assisté à des scènes durant lesquelles des membres de la commission se sont moqués des viols collectifs perpétrés sur des femmes batwa et des scènes lors desquelles ces mêmes membres ont “subtilement” menacé les sources batwa qui dénoncent ces violences.

Robert Flummerfelt, qui a été menacé de mort à la suite de la publication du rapport de MRG, a déclaré à RFI : « Il faut demander au gouvernement français d’expliquer s’il est encore prêt à financer un parc qui est au centre non seulement de récits d’une violence organisée contre des personnes autochtones, mais aussi d’efforts pour traquer et potentiellement tuer des leaders autochtones, un enquêteur congolais sur les droits humains et un journaliste américain. »

À de nombreuses reprises depuis avril 2022, Survival a averti l’AFD – au moyen de mails et sur les réseaux sociaux – des violations qui avaient lieu à Kahuzi-Biega afin d’en empêcher le financement. Nous n’avons reçu aucune réponse officielle de la part de l’AFD.

Fiore Longo, directrice de Survival International France, a déclaré : « Ce scandale montre clairement que la conservation n’a rien à voir avec la protection de la biodiversité, mais avec l’argent. Ce n’est malheureusement pas la première fois que nous alertons le gouvernement français du fait que certains de ses projets financés par l’AFD violent les droits des peuples autochtones. Cependant, il n’a cessé de nous ignorer et a laissé l’argent des contribuables français financer des violations des droits humains. Le fait que le gouvernement français fasse également pression pour transformer 30 % de la Terre en Aires protégées doit nous alerter : davantage d’Aires protégées signifie davantage de violations des droits humains. La France doit confirmer qu’elle ne financera pas ce parc ou toute autre Aire protégée portant atteinte aux droits des peuples autochtones. Il est temps de changer ce modèle de protection de la nature. Nous ne pouvons plus fermer les yeux. »

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